Voici un modèle établi par des chercheurs en neurosciences et psychologie qui vous permettra d’en comprendre davantage à propos des biais cognitifs.

L’objectif de l’article scientifique (traduit en français, référencé en bas de la page) que vous trouverez ci-dessous est de vous permettre de comprendre la mécanique cachée derrière les biais auxquels nous sommes soumis en les abordant d’un point de vue psychologique d’abord puis en décrivant des processus biologiques en parallèle.

Notre cerveau utilise par défaut des heuristiques lorsqu’il s’agit de prendre des décisions. De nombreux biais cognitifs sont dus à notre mécanisme cérébral intrinsèque qui est fondamental pour le fonctionnement biologique de nos réseaux neuronaux.
Ici, nous choisissons de définir 4 principes de base pour modéliser le fonctionnement de nos réseaux neuronaux afin de comprendre comment les biais cognitifs sont initiés : (1) l’association, (2) la compatibilité, (3) la conservation, (4) l’attention.

Ces 4 principes expliquent notre tendance naturelle à associer et combiner des informations (n’ayant parfois aucun lien), à les prioriser en fonction de notre état (notre savoir, nos opinions et attentes), à retenir des informations (certaines ne sont pas toujours pertinentes) et à diriger son attention vers l’information principale (parfois au détriment d’informations plus pertinentes mais moins directement accessibles).
Dans le cas des biais cognitifs, ces 4 principes peuvent contribuer en proportions différentes à la distorsion de l’information.

A de très nombreuses occasions, nous préférons transgresser les règles de la logique et les lois de probabilité pour s’en remettre aux plus approximatives heuristiques (raccourcis mentaux) afin d’optimiser nos chances d’obtenir un résultat tout à fait acceptable. Cette manière de procéder peut être efficace dans des situations à fortes contraintes temporelles, des cas où l’accès à des informations pertinentes est limité ou bien encore où aucune solution optimale ne semble évidente.

De même, nous avons aussi tendance à utiliser des heuristiques quand les problèmes auxquels nous sommes confrontés nous semblent familiers ou lorsque l’on ne ressent pas l’utilité d’informations additionnelles pour répondre à notre question.

Dans la vie de tous les jours, l’utilisation d’heuristiques peut mener à des résultats tout à fait acceptables si on les rapporte au temps que l’on a alloué à la résolution du problème. Cependant, dans certains cas, cette technique, qui ne s’appuie aucunement sur du calcul ou des probabilités, peut induire des prises de décisions bien sous optimales d’après les informations à disposition.

Un argument en faveur d’une application généralisée du fonctionnement des biais cognitifs : ces derniers sont systématiques. Tous les êtres humains tendent à utiliser les mêmes heuristiques et donc générer les mêmes types de biais pour une situation donnée.

La littérature étudie l’origine des heuristiques et des biais cognitifs à travers différentes perspectives : d’un point de vue évolutif, écologique et cognitivo- psychologique.

Système 1 / Système 2

Nous allons utiliser le modèle de Kahneman pour illustrer le fonctionnement des biais cognitifs. Kahneman fait la distinction entre notre système de traitement de l’information qui est rapide, intuitif, automatique et utilisant les heuristiques (le système 1) et le système de traitement plus lent, conscient, contrôlé et analytique (le système 2). Lorsque des décisions doivent être prises rapidement, c’est le système 1 qui est aux commandes. Dans des situations plus complexes ou inconnues et que nous avons suffisamment de temps, le système 2 vient contrôler le traitement de l’information opéré par le système 1. Les biais cognitifs sont le résultat d’un défaut de traitement de la part du système 1 ou quand le système 2 n’est pas en capacité de corriger la réponse biaisée du système 1.

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D’un point de vue cognitif, on peut expliquer l’apparition de biais en étudiant la structure du réseau neuronal. Nos décisions sont déterminées par les caractéristiques architecturales du réseau neuronal alloué au traitement de l’information. Ces caractéristiques ont été développées à l’origine pour effectuer des fonctions biologiques, perceptives et motrices très concrètes qui provoquent presque inévitablement des distorsions de l’information lorsqu’il est nécessaire de traiter des concepts abstraits tels que la logique et les probabilités.

“La fonction principale de notre système nerveux est de maintenir les parties de notre corps où elles doivent être pour que l’organisme puisse survivre.”

Au cours de l’évolution, les mécanismes indispensables pour un réseau neuronal fonctionnel tels que la facilitation, l’adaptation, la détection de coïncidences et l’inhibition ont permis l’émergence de capacités plus complexes telles que des capacités motrices plus fines, une reconnaissance de motifs répétés et l’apprentissage par association.

Nos “capacités de base” sont indispensables pour le maintien de notre intégrité physique dans notre environnement. Cependant, leur nature diffère énormément des fonctions cognitives dites de haut niveau (raisonnement analytique ou symbolique) que nous avons développées bien après l’apparition des mécanismes neuronaux originels.

Notre cerveau est bien moins adapté aux fonctions cognitives plus récemment développées qui incluent les processus calculatoires, raisonnements statistiques et concepts abstraits et qui sont devenues essentielles pour notre survie dans notre civilisation actuelle.

Ainsi, d’un point de vue cognitif, l’apparition de biais cognitifs serait due à un décalage entre les caractéristiques architecturales de notre réseau neuronal dédiée à la réalisation de fonctions motrices et perceptives avec les fonctions cognitives plus récemment développées.

A présent, nous allons étudier le modèle des 4 principes proposé précédemment pour illustrer le fonctionnement de nos réseaux neuronaux et comprendre comment les biais cognitifs peuvent effectivement apparaître lors de processus cognitifs.

Principe 1 : Notre tendance à associer les informations entre elles

Ce principe établit l’idée que notre cerveau est en constante recherche de mise en relation d’informations, de cohérence, de liens ou de motifs répétés contenus dans les informations à notre disposition.

Ainsi, notre cerveau recherche automatiquement et inconsciemment des corrélations, de la cohérence et des causalités. Nous sommes particulièrement sensibles à la régularité et l’ordre et nous avons beaucoup de difficultés à gérer l’aléatoire ou le non prédictible.

De ce fait, même si les relations ou patterns que nous établissons entre plusieurs informations sont tout à fait accidentels , notre cerveau leur confère un sens et une relation causale. Nous essayons naturellement de classifier les choses dans des catégories cohérentes et déterminées par des combinaisons stéréotypées de caractères et spécificités.

Voici maintenant un exemple de biais qui découle directement de notre penchant à associer les informations de façon systématique : le biais de superstition.

Beaucoup de gens associent leurs victoires dans le domaine du sport ou des jeux avec des rituels ou actions spécifiques qui leurs portent chance du fait qu’ils les aient réalisé immédiatement avant de gagner. Par conséquent, ces personnes auront tendance à répéter cette même action à chaque fois qu’ils jouent. Ce type de comportement peut être diffusé et partagé par plusieurs personnes. Ici on constate bien que quelques co occurrences accidentelles de certains comportements avec un résultat positif suffisent à induire et maintenir ce genre de comportements même si l’action superstitieuse n’engendre pas systématiquement l’issue espérée.

Réaliser ces rituels donne au gens un sentiment de contrôle malgré qu’il n’y ait absolument aucune relation entre leurs actions superstitieuses et le résultat final.

Qu’en disent les neuroscientifiques ?

Les neurones qui s’activent ensemble de manière répétée et persistante peuvent influencer leur propre excitabilité et les connexions synaptiques.
“cells that fire together, wire together”

Cette forte tendance que nous avons à associer des idées et détecter des patterns engendre la création de connexions neuronales de sorte que les connexions que nous créons entre deux éléments deviennent la base de nouvelles connexions neuronales même si aucun lien réel n’existe entre les deux partis.

Principe 2 : La compatibilité

Ce principe explique que les associations que nous faisons sont très fortement déterminées par leur compatibilité avec notre état actuel et les propriétés de notre réseau neuronal de sorte que nous voyons, reconnaissons, acceptons et préférons les informations en accord avec ce que nous savons déjà, ce que nous comprenons, espérons et ce qui à de la valeur pour nous.
Notre cerveau est un réseau d’associations qui nécessite des informations nouvelles ou complémentaires afin de constamment mettre à jour le réseau neuronal de sorte à ce que notre état mental soit en phase avec notre environnement.

Ce qui est sélectionné, traité et intégré n’est pas seulement déterminé par les caractéristiques du stimulus (ex : sa pertinence dans un contexte donné) mais aussi par sa compatibilité avec notre état mental momentané.

D’après nos préconceptions et notre expérience, nous voyons préférentiellement ce que nous souhaitons voir. Si un marteau est tout ce que tu as en ta possession, tous tes problèmes ressembleront à des clous.
Ce principe de compatibilité dans le traitement neuronal de l’information implique une nécessité de consistance entre les nouvelles informations et ce que nous savons déjà, ce que nous pensons ou ce que nous avons vécu. On comprend alors cet enclin à ignorer ou minimiser le poids d’une information pour la simple et bonne raison qu’elle ne coïncide pas avec nos convictions et conceptions.

Le biais de confirmation illustre parfaitement ces propos : quand les gens perçoivent une certaine quantité d’informations, ils relèvent les exemples qui confirment leurs intuitions. Ce comportement pourrait s’expliquer par le fait que les réseaux neuronaux sont plus facilement activés par des stimulus congruents avec les connexions déjà établies.

Qu’en disent les neuroscientifiques ?

Un mécanisme biologique sur lequel s’appuie le principe de confirmation : le priming.
Les phénomènes de potentialisation et de facilitation impliqués dans la plasticité synaptique rendent le traitement de l’information entrante plus efficace quand cette information est en accord avec les précédentes informations que nous avons intégrées.

Principe 3 : La conservation

Ce principe explique que lorsque des informations contre productives ou non pertinentes sont intégrées par association, leur intégration dans le réseau neuronal n’est pas réversible. L’information traitée ne peut être simplement supprimée ou ignorée et de ce fait, elle affecte nos futurs jugements et décisions.
Tout stimuli entrant dans le système nerveux affecte sa structure physique et chimique et par conséquent sa connectivité. Contrairement à un programme informatique, lorsque l’information a pénétré notre système nerveux, elle ne peut pas être mise de côté. Ce processus explique pourquoi quand on vous demande de ne surtout pas penser à : un éléphant rose vous ne pourrez tout bonnement pas vous en empêcher.

Cela signifie que les jugements et décisions que nous prenons sont nécessairement affectées par la persistance (ou l’ancrage) des effets des informations qui nous ont été données au préalable. Les biais de raisonnement s’établissent donc lorsqu’une information parasite interfère par association d’information avec le raisonnement en cours.
Un exemple de biais qui traduit cette idée serait le biais d’ancrage.

Qu’en disent les neuroscientifiques ?

L’accumulation et le traitement de l’information cause nécessairement des changements synaptiques et donc altère la dynamique en place du réseau neuronal. Le cerveau ne stocke pas les nouvelles informations indépendamment et séparément des informations déjà présentes. Une nouvelle information (ex : le résultat d’une décision) est traitée par association avec les circuits déjà existants (informations en mémoire) qui seront, par conséquent, modifiées (apprentissage Hebbien).
De plus, puisque le recul qu’on porte sur les situations et le rappel de nos connaissances sont intrinsèquement connectés à nos souvenirs et notre mémoire , une nouvelle information reçue en aval d’un événement influencera la façon dont la personne se souviendra de celui-ci.

Puisque la représentation originale de l’événement peut être modifiée par des informations intégrées à postériori, on comprend que des biais puissent apparaître dans certaines situations. Par exemple, ce phénomène peut expliquer notre tendance à considérer que certains événements passés auraient pu être anticipés à l’époque. De même, ce processus explique notre capacité à donner une valeur au résultat final qui dépend de la qualité que l’on assigne au cours des événements passés.

Principe 4 : L’attention

Le quatrième principe stipule que notre attention est attirée par l’information dominante ou évidente dans un environnement donné.
Le fait que d’autres informations (potentiellement pertinentes) puissent exister en plus de celles qui nous sont apparues comme évidentes est parfois ignoré ou insuffisamment exploité (on parle de blind spot).
Lorsque nous prenons des décisions, nous avons tendance à nous fier à des conclusions basées sur une quantité très limitée d’informations déjà à disposition plutôt que sur des données plus pertinentes mais moins évidentes.

Une tendance à estimer la fréquence, l’importance ou la probabilité d’occurrence d’un événement en se basant sur la facilité avec laquelle des exemples pertinents du dit événement nous viennent en tête explique l’apparition de certains biais cognitifs.

Qu’en disent les neuroscientifiques ?

De façon générale, lorsque des personnes pensent à leurs “intuitions superstitieuses”, elles vont automatiquement se souvenir d’exemples en faveur de leur croyance. Lorsqu’une expérience compatible avec leur superstition est récemment arrivée, cela a renforcé leur croyance puisque le réseau neuronal qui l’encode a lui-même été renforcé. De même, il sera plus facilement activé lors du prochain événement à propos.

Par ailleurs, les activations neuronales consolidées peuvent aussi renforcer les inhibitions latérales. Ce mécanisme neuronal implique une inhibition mutuelle de neurones en compétition. Cette inhibition est proportionnelle à leur niveau d’activation. Ainsi, un groupe de neurones légèrement plus activé qu’un autre domine et peut inhiber le groupe qui était en compétition.
L’inhibition latérale a donc pour rôle d’amplifier des différences initialement détectées de sorte à accélérer le processus de discrimination amenant à une association dominante. L’association dominante peut supprimer l’activation ou le rappel d’autres associations (qui parfois sont contradictoires). Ce système nous prémunit ainsi d’une gestion complexe de données contradictoires.

L’inhibition latérale pourrait aussi expliquer pourquoi nous sommes incapables de percevoir simultanément des informations contradictoires. En cas de stimuli ambigu, l’inhibition latérale nous impose de baser nos décisions sur une quantité limitée d’informations. Nous sommes dans ce cas là inconscients du fait que nous ne sommes pas capables de considérer davantage de données pertinentes ou d’interprétations alternatives.
Cette quantité d’idées, d’habitudes ou intuitions fortes agit sur notre prise de décision en supprimant les alternatives à puissance plus faible.

Discussion :

En nous basant sur les connaissances dans le domaine de la biologie et des neurosciences, nous avons émis l’hypothèse selon laquelle les heuristiques et biais cognitifs sont des phénomènes inévitables liés aux caractéristiques architecturales de nos réseaux neuronaux. Ces caractéristiques sont fondamentales pour le fonctionnement biologique de notre cerveau qui a, à l’origine, été développé pour assurer des fonctions physiques, perceptives et motrices.

De plus, notre tendance à générer des biais dans nos processus cognitifs pourrait avoir eu un intérêt pour la survie de nos ancêtres du fait, par exemple, qu’ils aient augmenté leur vigilance en cas de coïncidences d’événement potentiellement dangereux pour eux.
Cette tendance que nous avons à détecter des relations superstitieuses entre plusieurs événements a donc pu être renforcée au cours de l’évolution.

Les 4 principes qui ont été présentés peuvent influencer une prise de décision et contribuer à la création de biais cognitifs, néanmoins, le degré avec lequel ils agissent peut varier en fonction de la situation et du biais en question.

Il n’a pas été possible de décrire tous les biais décrits à ce jour en fonction des 4 principes établis dans cet article. Les biais ayant posé problème étant ceux impliquant des calculs et estimations de gains ou pertes, de façon générale ceux issus de notre capacité très limitée à raisonner avec des statistiques.

Cet article nous permet de comprendre comment les caractéristiques fonctionnelles de nos neurones connues à ce jour peuvent entraîner des erreurs de raisonnement dans notre environnement actuel. L’explication de l’apparition de certains biais peut être apportée via l’établissement d’un modèle. On note néanmoins les limites de celui proposé dans cet article : il ne peut expliquer l’existence de biais calculatoires. Ce modèle reste tout de même pertinent pour esquisser une première approche de ce qu’est un biais cognitif au sens psychologique et biologique du terme.

Le texte source

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6129743/

Korteling JE, Brouwer AM, Toet A. A Neural Network Framework for Cognitive Bias. Front Psychol. 2018;9:1561. Published 2018 Sep 3. doi:10.3389/fpsyg.2018.01561